Persan : Amadou, le « pacificateur guinéen » plante un arabe au hasard pour venger les noirs de Tunisie

Leutnant
Démocratie Participative
21 juillet 2023

La mairie de Persan, il y a deux semaines

Le dialogue interculturel est dense dans le Val-d’Oise.

Actu-juridique.fr :

Il entre dans le box : large front bombé, tête légèrement inclinée. Il regarde par en-dessous, fixement, la juge qui préside l’audience de comparutions immédiates de Pontoise ; elle se déroule ce mercredi 12 juillet dans la salle habituellement réservée aux assises. Au premier rang à gauche, Mahrez, qui a reçu deux jours plus tôt un coup de couteau dans le dos et ne sait toujours pas pourquoi.

La prévention livre quelques indices : violences volontaires aggravées par trois circonstances : usage d’une arme, préméditation, en raison de l’appartenance réelle ou supposée à une race, ethnie, nation ou religion. Amadou Bah a 24 ans, son casier est vierge, il encourt sept ans de prison.

Le 10 juillet à 14h55, les gendarmes se rendent sur un parking commercial à Persan, où un homme en a poignardé un autre. A leur arrivée, une dizaine de témoins leur désigne un individu qui tente de s’éloigner discrètement. Les gendarmes appréhendent Amadou, lui demandent de lâcher le couteau qu’il tient dans sa main droite, de se mettre à terre. L’homme obéit sans faire de difficultés.

Quelques minutes auparavant, Mahrez se dirigeait à pied vers la boucherie-épicerie, quand il a reçu un coup de couteau dans le dos. La lame frappe un os et casse net. Mahrez se précipite vers le commerce, passe la main dans son dos et sent quelque chose de mouillé, résume-t-il.

« C’était quoi le mouillé ? C’était quoi le mouillé ? » insiste la présidente.

— Du sang.

— Voilà, et vous avez entendu quelqu’un dire ‘je vais vous tuer’ ?

— Oui.

— Et dans l’épicerie, vous avez entendu des menaces ?

— Oui, il me dit ‘sale arabe, bougnoule, je vais te tuer.’ »

Amadou sort un autre couteau et le poursuit dans le commerce. S’ensuit une lutte chaotique dans la partie épicerie. Mahrez se défend à l’aide des produits qu’il ramasse, lui jette des pots de miel et des bouteilles de soda, tandis que le frêle Amadou tente de le planter et l’attrape par la gorge. La présidente à ce stade se tourne vers le prévenu : « Vous ne le connaissiez pas du tout ?

— Non, jamais vu », répond tranquillement Amadou.

Mahrez complète : « Maintenant, je n’ose plus sortir dans la rue, je regarde tout le temps derrière moi. Je fais confiance à la justice, mais je ne suis pas rassuré. » Son ITT (NDLR : Incapacité temporaire totale de travail) a été fixée à deux jours.

Interrogé par les gendarmes, Amadou répond : « En effet, je suis arrivé sur le parking de la boucherie et je suis entré dans l’épicerie avec l’intention de tuer un Tunisien. » Il a aperçu un homme maghrébin et en a déduit qu’il était tunisien (Mahrez hausse les épaules : il n’est même pas tunisien et tient à le faire savoir). Pour tuer, Amadou avait emporté deux couteaux, des couteaux à steak de mauvaise qualité – ce qui a sauvé la vie du plaignant.

La présidente essaie de comprendre : « Vous avez quoi contre les Tunisiens ? » C’est en rapport avec le racisme anti-noirs qui sévit en Tunisie, dit-il. Depuis février, il est en boucle sur les faits de racisme très violents qui frappent des migrants sub-sahariens en Tunisie, que les déclarations racistes du président Kaïs Saïed ont enflammés. Il regarde des vidéos de violences exercées contre des personnes noires, dans les rues, dans le désert où ils arrivent après un terrible voyage. Des images d’une grande violence qui font complètement vriller Amadou, d’origine guinéenne. Sa haine contre les Tunisiens croît de jour en jour.

Depuis les geôles situées sous la salle d’audience, proviennent des cris qui obligent la présidente à élever la voix. « Vous avez expliqué avoir essayé de vous procurer une arme à feu, après avoir vu une vidéo le matin même.

— Une vidéo qui représentait ce qui ressemblait à une sorte de viol collectif.

— Voilà, puis vous incitez à la haine sur les réseaux sociaux, prenez deux couteaux. Pourquoi deux couteaux ?

— Aucune idée.

— Il suffit d’un couteau pour tuer un Tunisien.

— Je suis sorti et j’ai cherché à tuer un Tunisien.

— Vous dites : ‘depuis février 2023, j’avais un ressentiment contre les Tunisiens.’

— Oui, j’avais une haine absolue envers les Tunisiens.

— Vous ne vous êtes jamais confié à personne sur cette haine, pourquoi ?

— J’en ai décidé ainsi. Je pensais que personne ne me comprendrait. »

La présidente cherche à démontrer l’absurdité de son geste. « Il est pas Tunisien, Monsieur.

— Je pensais qu’il était Tunisien.

— Vous trouvez qu’il ressemble à un Tunisien ? Ça ressemble à quoi, un Tunisien ? »

En bref, Amadou a attaqué le premier arabe venu.

«— Est-ce que vous trouvez légitime de vous attaquer à quelqu’un au hasard, au prétexte que des violences sont commises en Tunisie ?

— Ce n’est pas légitime non plus de s’attaquer à des noirs en Tunisie. »

Soudain, la présidente pique une colère et se met à crier : « Lui, il s’est attaqué à quelqu’un ? Qu’est-ce qu’il a fait Monsieur ? » Elle répète et hurle sur le prévenu, qui ne répond pas. Puis se calme et poursuit plus doucement.

« — Le gendarme dit que vous étiez envahi d’une rage extrême, comme possédé. Vous vouliez le tuer ?

— À ce moment là, oui.

— Vous vous souvenez de ce qu’il y avait écrit sur votre t-shirt ?

— Le pacificateur. »

S’il n’a pas de casier, Amadou a un antécédent. « Vous aviez introduit un couteau dans un établissement scolaire.

— Oui, c’était dans mon établissement où je suivais un BTS.

— Et c’était pour quoi faire ?

— Pour tuer.

— Pour jouer ? interroge la présidente qui n’a pas compris.

— Non, pour tuer », répète le prévenu.

Silence.

« Pour tuer ? Vous n’aviez jamais dit ça à l’époque. » Il semble que la présidente n’y croit pas, qu’elle pense qu’elle fait face à un fanfaron. Le prévenu a dit ça avec naturel et assurance, comme si, pour lui, c’était l’évidence même.

Amadou donne l’apparence d’un calme à toute épreuve. Un peu trop calme. Il répond avec politesse et ses mots sont précis, son phrasé sans accroc : il est tout à fait lisse. Il est temps d’aborder sa personnalité.

Amadou consulte un psychiatre tous les six mois et un psychologue tous les quinze jours. Il reçoit une injection tous les trois mois, rapporte la présidente, sans préciser ce que contient l’injection ni dans quel but.

Présidente : « Votre injection, vous la faites bien régulièrement ?

— Oui

— Parce que y’a des gens qui ne la font pas, et évidemment alors là y’a des problèmes, mais vous avez dit que ça ne vous faisait rien du tout…

— Je ressens beaucoup de colère, malgré le traitement.

— Vous l’avez dit à votre médecin ?

— Oui, mais elle ne m’écoute pas.

— C’est ça, c’est de la faute des médecins. » La juge pense que, si la psychiatre lui prescrit une injection de Trevicta tous les trois mois, c’est qu’il s’agit du traitement adapté à la pathologie, dont le nom, à ce stade de l’audience, n’a pas encore été mentionné.

Il faut attendre le résumé de « l’expertise » du Pr. Peretti, qui a dû la réaliser en garde à vue et non dans les conditions normales d’expertise psychiatrique, puisque le suspect a été déféré après sa garde à vue. C’est donc un examen très sommaire, qui conclut : « Personnalité marquée par une schizophrénie simple, cliniquement stabilisée. Le sujet présente un facteur de risque de passage à l’acte transgressif. Il n’avait, au moment des faits, aucun trouble ayant aboli son discernement, il est accessible à une sanction pénale. » Tout le monde est rassuré.

La présidente ne comprend pas pourquoi, malgré les faits commis en 2019, aucune condamnation n’est inscrite à son casier. Elle se tourne vers la procureure : « Est-ce que vous avez une explication ?

— Alors, pour les faits de 2019, il a été déclaré pénalement irresponsable.

— Ah, abolition du discernement, carrément. »

Elle se tourne vers le prévenu : « Vous avez été hospitalisé d’office, deux fois.

— Du 29 janvier au 28 février 2019.

— Puis 8 mois, entre mai 2019 et janvier 2020. »

La présidente demande ensuite à Amadou si sa famille est dans la salle. Il répond que non, mais que ce n’est pas grave. Sa mère travaille dans une cantine scolaire, son père à La Poste. « À La Poste, on peut facilement prendre un congé pour aller voir son fils au tribunal, vous ne pensez pas ? » On peine à comprendre où elle veut en venir.

On peine également à comprendre pourquoi le parquet a orienté un tel dossier en comparution immédiate. L’assesseure utilise ce levier dans une adresse véhémente au prévenu, qu’elle entend secouer : « Si je résume, vous êtes sorti de chez vous avec une envie de tuer, donc on aurait pu retenir la tentative d’assassinat. Vous savez combien vous auriez risqué ? La réclusion à perpétuité, Monsieur. Ça fait deux fois qu’on vous voit, qu’est-ce qu’il faudra faire pour que ça ne recommence pas ? » Elle le gronde et fait les gros yeux.

Maintenant, l’avocat de la partie civile plaide. « Pour moi la volonté homicide ne fait pas l’ombre d’un doute, donc je suis un peu étonné du choix de Mme le procureur. »

La présidente l’interrompt.

« Vous demandez que le tribunal saisisse le parquet pour une ouverture d’information judiciaire ? »

L’avocat se tourne vers son client : « On le demande ?

— Comme vous voulez, répond Mahrez avec un haussement d’épaule.

— Allez, je le demande ! »

Il réclame aussi 30 000 euros pour le préjudice moral, et 20 000 pour le préjudice matériel.

C’est au tour de la procureure de prendre ses réquisitions. Sur les faits, elle estime que tout est caractérisé, mais « la difficulté tient à la personnalité de Monsieur, dont une expertise dit qu’il n’y a pas d’altération ou d’abolition du discernement. » Elle explique qu’il est schizophrène, mais stable, et d’ailleurs estime que la schizophrénie n’est « pas une maladie mentale ». « Il a des propos clairs, il est particulièrement froid (NDLR : qui est un symptôme de la schizophrénie) à mon sens par rapport à ce qu’il a fait. On a une personne qui élabore, qui comprend. Il sait ce qu’il va faire. Sa colère est froide, maîtrisée ; elle ne lui échappe pas, il la dirige dans les faits. Après les faits, il maîtrise ce qui est en train de se passer. On n’est pas sur un déchainement de violence. Il fait ses stories Snapchat, et après les faits il fait un selfie avec les doigts en sang, », déroule-t-elle.

« Au vu de cela, je me pose une question sur la peine. Monsieur n’a pas de regret. J’ai envie de vous dire : je requiers sept ans, le maximum. Mais je veux que ce Monsieur ait aussi un suivi, alors je vous demande cinq ans, dont un an avec sursis probatoire », incluant une obligation de soin. Elle se rassoit.

La défense souligne des faits « graves, regrettables, absurdes. Malheureusement ils sont dans l’air du temps, une époque caractérisée par la haine, le rejet de l’autre. » Timidement, elle souligne que l’expertise est à son sens « plutôt sommaire ». « A côté de ça j’ai deux hospitalisation d’office et une responsabilité abolie en 2019 », souligne-t-elle. « Il me semble qu’une peine appropriée doit tenir compte de l’état psychiatrique de Monsieur », plaide-t-elle avant de se rasseoir.

Après une heure de suspension, les juges ont délibéré et l’audience reprend. La présidente s’adresse à Amadou : « Le tribunal a décidé que ce dossier … » Elle est interrompue par des hurlements provenant des geôles (« qu’est-ce que c’est que ça encore ?). Elle poursuit : « … que ce dossier justifiait l’ouverture d’une information judiciaire. Les faits, dit-elle, sont beaucoup trop graves pour être jugés en comparution immédiate. Donc vous êtes attendu par le juge d’instruction. »

Amadou reste impassible.

On pourrait en faire un film.

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